ABSENCE DE PIEUVRE

L'HOMME À LA TÊTE DE MORT, SYDNEY HORLER
ÉDITIONS R. SIMON / POLICE SECOURS, 1939

Les couvertures mentent, l'amateur de littérature populaire en sait quelque chose. Combien de jolies filles emballant un polar soporifique, combien d'illustrations de Brantonne masquant un Anticipation indigent, combien de peintures tonitruantes aboutissant à un espionnage aussi gris que le trench-coat de Marlowe ?
On ne les compte plus, ces déceptions-là.
Pour le bibliophage populard, ce sont les risques du métier. Deux heures de paumées, appâté par une chouette jaquette et empalmé par un texte minable. On en fait son deuil et on tourne la page.
Mais parfois, l'affront est trop grand pour passer l'éponge. Plus question de la fermer et d'avaler la pilule. La gourance est telle qu'on tombe carrément dans le casus belli.
C'est le cas de cet Homme à la Tête de Mort, signé Sydney Horler, obscur écrivain angliche de type Edgar Wallacesque.
La bestiole est vicieuse. Elle n'y va pas par quatre chemins. Elle s'annonce mirifique, façon pêche aux canetons en jonc macif. Y'a qu'à zieuter le bidule. 
On tient là, et personne ne me contredira, l'une des plus belles couvertures de la collection Police Secours des éditions R. Simon. Cette pieuvre géante qui, le tentacule hardi, attrape un avion, ça te défonce radicalement les mirettes. Quant à ce titre à faire frémir, surplombant magistralement la scène, il achève l’abattage. 
Que tu le veuilles ou non, t'es foutu. T'as le cervelet qui fume, la matière grise qui gode, le jackpot qui affiche ses trois cerises à la suite. Ting ting ting. Te voila qui imagine un retour sur investissement à 1000 % mais pas de chance, tu as faux sur toute la ligne.
Car de pieuvre géante, dans ce bouquin, il y a nib. Aux abonnés absents, qu'elle est, la créature. À la place, t'as droit à un récit, façon espionnage d'avant-guerre, aussi plan-plan que con-con. Et avec, pour couronner le tout, un abruti de première en guise de héros : Tim "Tiger" Standish.
À
la fois footballeur de haut-niveau et agent secret au service de la couronne britannique, notre gugusse est chargé d’empêcher le vol d'un avion expérimental par un certain Rahusen, le terrible, l'abominable Rahusen... alias l'homme à la tête de mort !
"Enfant trouvé, de parents inconnus, il avait gravi tous les degrés du vice jusqu'à devenir, à l'age de quarante ans, un maître criminel. Et ceci n'est pas une figure de rhétorique. Rahusen n'inspirait pas seulement des forfaits, il prenait un plaisir sadique à les executer lui-même. Il ne reculait devant aucune atrocité. Sa main était toujours armée d'un poignard ou d'un pistolet que son cerveau pervers dirigeait."
Et la tête de mort, dans tout ça ? Comme la pieuvre, c'est du charre. Rien d'autre qu'un sobriquet qui s'explique par le teint cadavérique de l'affreux, conséquence d'une consommation abusive de cigarettes marocaines.
Autant dire que l'affaire est râpée sur toute la ligne. Le bouquin ne propose véritablement rien de passionnant à se foutre sous la dent et accumule l'ensemble des tares typiques aux récits de quat'sous bas du front.
Haine du fonctionnaire, haine de l'étranger, mépris du pauvre et du faible, tout y est et pue l'infatuation d'une bourgeoisie bigote et bornée. On nage en plein dans ces codes fictionnels hérités des histoires de chevaliers où les héros sont de riches aventuriers virils et audacieux, où le bon peuple est relégué soit à jouer les laquets soumis, soit à pratiquer la mécréance à la sauvette, et où les vilains semblent calqués sur ces caricatures antisémites qui fleurissaient à l'aube du XXème siècle.
La sauce pourrait prendre, les codes sont connus (et appréciés de ma pomme lorsqu'ils sont efficacement employés) mais la molesse de la narration et la nullité des idées empêchent toute sympathie. 
On ne fait pas de bonne mayonnaise avec des œufs pourris. 
Ni de rouille d'encornet sans calmar.
D'ailleurs, en parlant de ça, qu'est-ce qu'il venait foutre en couverture, ce satané céphalopode ?
Comment ?
La symbolique ?
Ah oui, la symbolique ! La symbolique de l'organisation d'espionnage tentaculaire...
Le genre de bobarderie à la noix tout juste bon à te dégoûter de la chose.
Si c'est pas un drame, ça...

2 commentaires:

Mister Gutsy a dit…

Ah merde, elle me faisait aussi saliver cette satanée couv'...
Ben tant pis, à la place, j'aurai eu le plaisir de ta plume. Merci !

Zaïtchick a dit…

Merci pour la couv' ;)